Alexei
« Ce soir sur Ccnews, après sa sortie de prison Alexei Vromdanov viendra devant nous pour parler de sa future carrière. »
Un geste inconsidéré, je pris ma crosse et l'écrasa violemment contre l'écran de la télévision. Je ne sais pas si c'était la bouteille de vodka du soir qui n'étais pas très bien passée ou bien si c'était seulement mes nerfs qui me lachaient.
Qu'était il devenu le jeune garçon que je connaissais dans mon enfance? Celui avec qui j'aimais gambader dans les prés, égorgeant bêtes sauvages et petits oiseaux innocents grâce au métal rouillé que nous trouvions ici et là dans la plaine gelée environnante. Pour Alexei, la vie a toujours été artistique. A l'instar de Proust et sa madeleine, le jeune Alexei avait au fil des années nourrit une véritable obsession pour l'odeur du sang. Tel un vampire, il ne pouvait se retenir de déverser sur la neige immaculée, le pourpre de ce flot animal.
Ainsi le hockey vint à lui comme une nécessité. Ces gestes violents et gratuits, le rappel de sa glace natale, le sang qui coulait encore et toujours, n'étaient que des éléments qui réjouissait continuellement le jeune homme. Et moi avec lui, tel des frères, je l'accompagnais dans ces pires moments de folie. Je le soutenais également lorsqu'il se morfondait sur son sort, lorsque son âme revenait dans des dispositions que les spécialistes appellent à tord la normalité.
Car l'homme russe est né comme cela, violent et rude, insensible, souvent ivre, aimant son pays et prêt à tout pour le servir. Et c'est pour cela que lorsque notre république lui demanda de propager nos valeurs à Clint City, il accepta sans hésiter.
Ce que les officiels du parti n'avaient pas prévus, c'était que dans le monde occidental, la violence, même dans sa forme la plus artistique, était proscrite.
Ainsi les scandales sportifs, puis la violence en dehors des stades. Alexei sombrait, non dans l'alcool, mais bien dans cette bonne conscience qui l'envahissait.
Il n'était plus le même, il n'était plus l'homme que j'avais connu.
J'ouvris alors la bouteille de vodka de secours, il ne restait plus que cela dans mon frigo de toute façon.
Avec un mal de tête non simulé, je m'endormis devant le cadavre de mon écran qui réfléchissait encore mon propre échec.